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Interview de Rémy JOSSEAUME pour l'ARGUS (2)

Publié le 28 février 2011

Tags : PRESSE, MAGAZINES, L'ARGUS

                   

 

 

 

Interview de Rémy JOSSEAUME recueilli par Joseph GICQUEL - Journaliste 

Juriste, Rémy JOSSEAUME exerce dans un cabinet d'avocats parisien.

Quel argument faites-vous valoir pour dénoncer le paiement de la consignation ?

Le raisonnement développé par notre commission juridique est simple. Lorsqu'un automobiliste reçoit un procès-verbal pour dépassement de vitesse, il dispose de la possibilité de contester l'infraction en adressant le "formulaire de requête en exonération", mais, pour bénéficier de cette opportunité, il doit acquitter le paiement d'une consignation préalable. ? Dès lors qu'il exécute, avant même d'être jugé, la peine principale de l'infraction, dit le président de la commission, Rémy JOSSEAUME, le contrevenant est mis en situation de renoncer purement et simplementécontester l'infraction. Expurgé de l'exercice de ses droits, il n'est plus traité comme un justiciable mais comme un contribuable ! Le cas qui a motivé notre requête est encore plus éloquent. La contestation lui a été refusée et le montant  de la consignation ne lui a pas été restitué. En assimilant délibérément la consignation au paiement de l'amende, cette procédure automatique de traitement des contentieux constitue une atteinteéla présomption d'innocence et bafoue le droitése défendre en sollicitant une comparution devant un juge. Le médiateur lui-même a lui-même été saisi de pareils cas ".

Cette requête a-t-elle des chances d'aboutir ?

Ce sera forcément long mais, sans attendre la décision, notre démarche se veut un coup de semonce. Nous voulons alerter les pouvoirs publics sur la menace qui s'accentue sur la politique de sécurité routière. Nous l'avons dit et cela a été un des motifs de création de notre association, les automobilistes en ont marre d'être considérés comme des délinquants en étant sanctionnés pour de petites infractions, les dépassements de moins de 20 km/h, souvent liéséune inattention. Même le mode de sanction appliquéél'alcoolémie pose problème. Le seuil légal est 0,5 g. Si personne ne conteste le fait que l'excès d'alcool au volant est un fléau, si vous présentez un taux de 0,51 g et si un autre automobiliste affiche un taux de 1,99 g, la sanction est la même, -6 points. N'importe qui convient qu'il y a entre les deux chiffres une différence de dangerosité qui appelle une gradation dans la sanction. Notre démarche concernant la consignation a donc pour but de mettre en garde les pouvoirs publics contre la dérive du système d'automatisation du traitement des amendes, d'autant qu'il va s'intensifier et, si l'en croit les réformes qu'étudie la Chancellerie, s'étendreél'ensemble des infractions au Code de la route. Si l'on effectue une projectionépartir de l'état actuel des amendes, la perspective de déploiement de 5000 radars, dont la plupart vont devenir mobiles, devrait engendrer,éraison de 5200 PV par radar et par an, 25 millions d'infractions dont 90 % d'entre elles seront vénielles, mineures ! Cela veut dire que si personne n'est déjà, aujourd'hui,él'abri d'un flash, ce sera encore moins le cas dans un avenir proche. Si l'on applique également la projection du nombre actuel d'invalidations de permis, 90 000 par an, le chiffre devrait passer à 200 000 ou 300 000. Le débit de points perdus va forcément se traduire par une congestion des stages de récupération et, au bout du compte, mettre en péril tout le système du permis à points.

Le paiement de la consignation avant de contester un procès-verbal n'est pas légal. C'est la requête que l'association "40 millions d'automobilistes" vient de déposer contre l'Etat français devant la Cour Européenne de Droits de l'Homme. La procédure sera longue. Quelle que soit l'issue, l'association veut surtout attirer l'attention des autorités sur une sorte de désespérance qui gagne les automobilistes face él'hyper-répression routière.

"Notre interpellation de la Cour européenne se veut un cri d'alerte au gouvernement français face au désarroi croissant des automobilistes"

Qu?entendez-vous faire, alors ?

Nous tentons de dialoguer avec les autorités mais nous ne sommes pas entendus. Tout le monde est d'accord pour une politique de la sécurité routière mais nous réclamons le bon sens et ne cessons de dire au gouvernement : attention éne pas sanctionner abusivement les petites fautes sous peine de désespérer les automobilistes et de les amenerédétester la politique toute entière de sécurité routière. 90 %é95 % des conducteurs se disent responsables et le sont. Ce sont les 10 %é5 % d'irresponsables qui engendrent l'hyper-répression. Or, tout le monde sait que les enjeux de la sinistralité routière ne sont pas là où les pouvoirs publics la placent. ?Les radars ont fait baisser la mortalité sur les routes', se gargarise le gouvernement. L'effet radars nécessite plus d'analyse et de discernement. En 2003, le nombre de morts sur la route avait baissé de 1500; la baisse ne pouvait être mise au compte des radars puisque les premiers ont été installés en automne de la même année ! D?où provenait-elle, alors ? Nous avons observé et analysé un impact très important sur la population à risques et l'avons corrélé avec l'augmentation importante, sur la même période, des contrôles d'alcoolémie. L'effet d'annonce a pu également contribuer à sensibiliser une couche de cette population perméable au message de sécurité routière.

Il n'est pas douteux que les radars ont fait baisser la très grande vitesse et donc le nombre d'accidents induits par cette conduite à risques ; la statistique confirme ce lien. Mais elle ne met pas en évidence d'impact sensible pour les petits dépassements de vitesse inférieurs é20 km/h. Les accidents ont une autre cause : alcoolémie, inattention, mauvais anticipation, prise de risque, somnolence? La Grande-Bretagne a démontré qu'une fois les très grands excès de vitesse disparus, la multiplication du nombre de radars n'améliore pas la sécurité routière de façon significative. Entre 1991, date de mise en place des radars, et 1995, le nombre des accidents mortels a baissé de 30,5 % (3621 tués contre 5217). Depuis, les résultats de sécurité routière, outre-Manche, ont stagné avec 3409 tués en 2000 et 3336 en 2005 soit -73 tués en cinq ans (1)  L'hyper-répression conduit édes comportements déviants,édes dérives qui n'avaient pas cours jusqu'ici : dénonciation du conjoint, achat de points par Internet, immatriculation de véhicules au nom d'un mineur, d'un défunt, d'une société car il n'y a pas d'injonction de délation dans ce cadre professionnel. Les autorités travaillentéun projet qui rendrait la délation obligatoire.

L'arsenal de la répression mis en place par le gouvernement français plonge dans l'illégalité beaucoup de gens parfaitement responsables et raisonnables. Le congestionnement évoqué du système du permis à points rend sa révision inévitable. Il faudrait reveniréla judiciairisation et non éla simplification administrative : c'est le tribunal qui déciderait de la juste sanction. Mais il va de soi que la solution de bon sens consisterait ésupprimer la perte de points pour les faibles excès de vitesse, de moins de 20 km/h  ou 10 km/h,édébattre avec le législateur. Nous le réclamons depuis la création de l'association. L'Espagne, qui a mis en vigueur le permis époints en juillet 2006, a adopté cette position, ainsi que le délai de récupération automatique de 2 ans contre 3 ans en France sans que les résultats de sécurité routière soient moins pour autant. Notre démarche d'interpellation des pouvoirs publics est donc un cri d'alerte pour que les Français reprennent confiance en un système contre lequel, en citoyens responsables et raisonnables, nous n'avons pas d'opposition fondamentale mais qui est devenu inique et est aujourd'hui le plus répressif de l'Union européenne.

www.40millionsdautomobilistes.com

(1) Source : rapport 2006 de l'Observatoire national interministériel de sécurité routière (ONISR), page 189

 

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