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Publié le 23 janvier 2022 par Me JOSSEAUME

Droit routier un droit dérogatoire au droit commun

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ME Rémy JOSSEAUME publie dans LE FIGARO une tribune sur le droit routier un droit d'exception

 

CHRONIQUE - Au fil des ans, les règles de droit s’appliquant aux infractions routières sont devenues dérogatoires à celles régissant notre état de droit.

En s’étendant insidieusement dans notre arsenal répressif, elles menacent désormais nos libertés publiques.

Avec le récent déploiement des voitures radars, les autorités viennent de franchir une étape supplémentaire dans le contrôle des automobilistes. De nos jours, il ne fait pas bon être un contrevenant au Code de la route, qui s’expose depuis des décennies à la tolérance zéro des pouvoirs publics. Chaque année, plus de 26 millions d’infractions sont relevées et traitées par les autorités, et pas moins de 13 millions de points sont retirés sur les permis de conduire de nos concitoyens.

Dans ce domaine, la justice est véloce alors que de son côté l’administration se révèle d’une exceptionnelle efficacité. L’usager de la route est le seul justiciable confronté à une politique de «tolérance zéro».

Le droit routier constitue sans aucun doute l’activité contentieuse la plus importante et la plus dense au sein de nos juridictions répressives. Les sanctions tombent, implacablement, mécaniquement, au point que nombre d’automobilistes ont le sentiment qu’il vaut mieux être un délinquant de droit commun que d’être un délinquant routier. De tous les «infractionnistes», l’automobiliste est celui qui contribue le plus aux deniers de l’État.

Pour faire face à ce contentieux de masse, les conducteurs pris en faute se voient infliger un corpus de mesures dérogatoires au droit commun. Érigeant ainsi le droit routier en droit d’exception qui, si l’on n’y prend pas garde, pourrait bien menacer notre état de droit et nos libertés publiques.

Un tour d’horizon du système de répression mis en place, tel qu’il existe et tel qu’il est appliqué, donne une idée de l’ampleur et de la gravité de la situation à laquelle tout automobiliste est un jour ou l’autre confronté.

En premier lieu, ce dernier, contrairement à un délinquant de droit commun, ne connaît jamais la notion d’impunité ou d’amnistie. Il s’expose en cas de condamnation à de multiples peines cumulatives (suspension du permis, peine d’amende, perte de points, obligation de stage, peine d’emprisonnement, confiscation de son véhicule). Ainsi, pour un unique fait, le «délinquant routier» pourra cumuler pas moins de quatre à cinq peines en moyenne, là où le délinquant de droit commun n’en subira tout au plus qu’une ou deux (peine d’emprisonnement et amende)!

Une justice de plus en plus bureaucratisée pourra, dans de nombreux cas, lui infliger des peines automatiques, parfois sans aucun débat contradictoire, frappant la validité de son permis de conduire, jusqu’à son annulation, voire la propriété de son véhicule par une mesure de confiscation. Ces mesures dérogatoires à nos droits et libertés publiques font comparaître l’usager de la route devant son juge avec une forte présomption de culpabilité et contraint de démontrer son innocence.

La délation érigée en acte civique

Mais, avant d’être face à un juge, si tenté qu’il puisse l’être, il sera d’abord confronté aux pouvoirs de l’administration. L’autorité préfectorale peut le sanctionner (et elle ne s’en prive pas) sans l’intervention d’un tribunal en le privant du droit de conduire jusqu’à 12 mois. Il se voit ensuite imposer l’obligation de payer préalablement le montant de l’amende encourue pour que son seul droit au recours soit recevable, puis contraint d’exécuter des décisions de justice avant même d’avoir pu exercer ses droits à la défense. Avant même d’avoir pris la parole, il est présumé responsable d’infractions commises avec son véhicule. Car ce justiciable pas tout à fait comme les autres est dans bien des cas contraint de désigner le conducteur de son véhicule, sauf à devoir subir de lourdes sanctions financières s’il ne le fait pas. Les autorités ont fait de la délation un acte de civisme en lui conférant désormais bonne conscience au nom de la sécurité routière.

Sur le terrain de l’administration de la preuve, l’automobiliste est confronté à la véracité du procès-verbal, car ses mentions font foi jusqu’à preuve du contraire.

Son calvaire ne s’arrête pas là, car il ne peut rapporter la preuve contraire que par témoins ou écrit. Pas toujours facile sinon même le plus souvent impossible.

De plus, les voies de recours ont été supprimées en matière de contentieux du permis à points. Cela s’ajoute à des entraves institutionnelles au droit d’accès au tribunal par les autorités qui s’arrogent le droit de juger du bien-fondé de ses contestations en filtrant le droit d’accès au juge malgré les multiples condamnations par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Folie normative

Depuis 2003, les politiques de répression routière et la généralisation des contrôles automatisés ont créé une délinquance nouvelle, dont les contours atteignent désormais tous les citoyens. Face à cette répression, guère soucieuse et peu garante des droits de la défense, les piliers séculaires de notre état de droit résistent mais s’en trouvent fissurés. Mais pour combien de temps? Le législateur porte une grande part de responsabilité dans la stérilisation des droits de l’automobiliste. Au fil du temps, il a délaissé ses compétences institutionnelles au profit du pouvoir réglementaire, exercé par des autorités non élues. C’est ainsi que par un simple décret et sans aucun contrepouvoir, la vitesse a pu être abaissée sur une grande partie du territoire à 80 km/h. Pour l’avoir oublié, souvenons-nous qu’à la fin de l’année 2018, le passage à cette nouvelle limitation avait largement contribué, sinon causé, la colère des «gilets jaunes».

Cette folie normative d’origine réglementaire, mais parfois aussi d’origine législative, intègre à notre droit des mesures d’exception. Elle éloigne le justiciable de son juge en expurgeant les droits élémentaires de la défense et s’accompagne d’une omniprésence de l’autorité administrative. Concilier l’exigence de sécurité routière et le respect des principes fondamentaux du droit de la défense du contrevenant au Code de la route n’est devenu qu’une équation de principe pour les pouvoirs publics. Plus préoccupant encore, ce droit dérogatoire auquel est soumis l’usager de la route depuis des décennies préfigure et contamine silencieusement mais insidieusement notre droit pénal dans ce qu’il a de plus restrictif et exclusif dans l’effectivité des droits de la défense.

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